L’Histoire de la Romain du Roy, typographie royale de Louis XIV

Les débuts des assemblées savantes

Depuis les travaux de Copernic publiés notamment dans la « Révolution des sphères célestes » en 1512, la science prend ses distances vis à vis des dogmes religieux. Cela se manifeste dès le début du XVIè siècle par la création d’assemblées savantes :

  • en 1635, le père Marin Mersenne, mathématicien, ouvre une académie au couvent des Minimes. Les travaux de Galilée, Descartes, Fermat, y sont évoqués. Cette expérience s’achève en 1648 par la mort de celui-ci.

  • l’abbé Bourdelot, ayant reçu la bibliothèque de son feu oncle, après 1641 « commença de tenir dans l’hôtel de Condé une espèce d’académie, composée de personnes savantes, que M. le prince honorait souvent de sa présence« . Roberval, Gassendi, Pascal, s’y réunissent. La Fronde mit fin à cette initiative.

  • Henri Louis Habert de Montmort réunit, aux alentour de 1657, chez lui dans son hôtel particulier du 79 rue du Temple, un cercle de savants et de philosophes, entre autres Pierre Daniel Huet, Jean Chapelain, Adrien Auzout, Girard Desargues, Samuel Sorbière, Claude Clerselier, Jacques Rohault, Gui Patin, Frénicle de Bessy, Melchisédech Thévenot, Roberval et Huygens.
Portrait d’un Henri-Louis-Habert de Montmor avec une moustache relevée, Claude Mellan,

Des compagnies savantes à l’Académie des Sciences

La création de l’observatoire

Auzout, en 1665, se fait l’avocat de cette proposition dans la dédicace au roi de ses Ephémérides de la comète de 1664. Il y exposait les raisons pour lesquelles il importait de créer un observatoire à Paris. Il déplorait les moyens à sa disposition pour faire ses observations. Et ajoutait :

«Si j’avais eu un lieu plus propre et les grands instruments nécessaires pour faire des observations très exactes, j’en aurois fait et je ne doute pas qu’elles m’eussent aidé à rencontrer mieux que je ne ferai. Mais, Sire, c’est un malheur qu’il n’y en ai pas un à Paris ni que je sache dans tout Vostre Royaume [….] et c’est peut-estre la cause pour laquelle il n’y a pas un Royaume dans l’Europe dont les Cartes Géographiques soient si fautives, et où la situation des lieux soit si incertaine. Il n’y a pas un François qui ne doive […] souhaiter que ce que des Particuliers ont avec magnificence en d’autres pays ne manque pas au plus puissant Monarque de l’Europe afin qu’il arrive 13 d’autre fois des choses nouvelles à observer dans le Ciel les François ne cèdent pas en cela aux Estrangers, puisque votre Majesté n’entend pas qu’ils leur cèdent en tout autre chose et qu’ils puissent contribuer comme les autres Nations par des observations les plus exactes qu’on puisse à déterminer ce que la curiosité des Sçavants leur fait rechercher depuis si longtemps. Il y va Sire, de la Gloire de Vostre Maiesté et de la réputation de la France, et c’est ce qui nous fait espérer qu’elle ordonnera quelque lieu pour faire à l’avenir toutes sortes d’Observations Célestes et qu’elle le fera garnir de tous les instruments nécessaires pour cet effet. […] Je puis asseurer Vostre Majesté que toutes les nations voisines sont depuis quelques temps dans une attente incroyable d’un si bel Etablissement »

Faire concurrence à l’Europe et au Monde

Colbert entend créer un édifice complet qui abrite différentes disciplines et corps scientifique. Il veut doter les académiciens d’un observatoire « surpassant en grandeur, en beauté et en commodité les observatoires d’Angleterre, de Danemark et de la Chine, mais, ce qui était tout dire, qui répondrait en quelque sorte à la magnificence du Prince qui le faisait bâtir ».

La création de ce projet répond aussi au besoin d’affirmer la puissance et le rayonnement royal afin de contrer l’influence des différentes sociétés européennes créées jusqu’alors : Accademia dei Lincei à Rome (1603), la Royal Society à Londres (1660)…

Un lieu qui polarise toutes les disciplines

Les Académies successives créées par Mersenne, Montmort, Thévenot introduisirent l’idée de la méthode expérimentale pour résoudre les problèmes de l’époque. Or il n’y a pas de méthode expérimentale sans preuve, d’où la création de laboratoires. L’expérience allait succéder aux spéculations. Dans une lettre adressée à Corringius en 1666, Chapelain parle de l’établissement et de la dotation de l’Académie des Sciences et affirme catégoriquement que « sa Majesté assignera des lieux pour se réunir et en bastira pour observer le ciel, avec une magnificence toute royale, sans rien épargner ni pour les laboratoires, ni pour les instruments nécessaires aux expériences »

L’ambition de cette Académie est à la hauteur de la variété des disciplines pratiquées : physique, chimie, anatomie, botanique.

La fondation de l’Observatoire et la création de l’Académie des sciences en 1666 sont
donc intimement liées, au point que l’on peut affirmer avec Charles Wolf que « la fondation de l’Observatoire fut la conséquence nécessaire et immédiate de la création de l’Académie des sciences ».

Elle devra toutefois attendre 1699 pour obtenir le règlement qui fera d’elle une institution officielle : l’Académie royale des sciences.

Colbert présente à Louis XIV les membres de l’Académie Royale des Sciences créée en 1667. Testelin Henri
Crédits : Photo (C) RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

La Commission Jaugeon (ou commission Bignon)

Le 15 mai 1675 Colbert demande à l’Académie des Sciences un « traité de mécanique » pour décrire « toutes les machines en usage dans la pratique des arts ».

Ce traité deviendra la « Description et perfection des arts et métiers, des arts de construire les caractères, de graver les poinçons de lettres, de fondre les lettres, d’imprimer les lettres et de relier les livres, par monsieur JAUGEON, de l’Académie royale des Sciences. 1704 ».

Estimant cependant qu’il convenait du moins de reprendre le projet de description des arts et métiers élaboré du temps de Colbert, il réunit régulièrement dès 1693 dans son hôtel une commission de trois « technologues », Nicolas Jaugeon, Le Père Truchet et Filleau des Billettes, qui furent chargés de commencer l’ouvrage et qu’il fit rentrer à l’Académie des sciences lors de la réorganisation de celle-ci. Et l’on sait que les travaux des membres de la « Commission Jaugeon», continués par Réaumur à partir de 1708, frayèrent la voie à l’Encyclopédie.

Dates clés

1640 : Richelieu fonde l’Imprimerie Nationale

1691 : Jean Anisson est nommé par Louis XIV à la tête de l’Imprimerie Royale

1693 : création de la Commission Bignon. Groupe chargé par le ministre français Jean-Baptiste Colbert d’examiner la possibilité de dresser une description de tous les arts et procédés industriels utilisés en France. Il était dirigé par l’abbé Bignon, qui choisit pour l’assister le typographe royal Jacques Jaugeon, l’érudit Gilles Filleau des Billettes et le père Sébastien Truchet. Ce groupe de travail se nomme la « Petite Académie »

1694 : début du travail Philippe Grandjean qui se poursuivra jusqu’en 1714.

1699 : l’abbé Bignon, Jacques Jaugeon, Gilles Filleau des Billettes et le Père Sébastien Truchet entrent à l’Académie des Arts et Métiers

1702 : première utilisation pour imprimer les Médailles sur les principaux événements du règne de Louis le Grand, sorties des presses de l’Imprimerie royale pour être offertes au souverain en cadeau d’étrennes le 9 janvier 1702.

1723 : Jean-Alexandre, élève de Philippe GrandJean, lui succède

1740-1745 : Louis-René Luce complète les caractères romains de l’imprimerie nationale. D’un corps 4, « la Perle », et d’un corps 16, le quadruple cano

1750 : Diderot et D’Alembert annoncent leur Encyclopédie

1797 : Le Romain du Roi s’appelle désormais les Caractères Nationaux

1824 : Une commission regroupant les académiciens et les graveurs de poinçons Firmin Didot et Molé fut chargée de travailler à leur remplacement.

1825-1832 : Les Caractères de Charles X  sont gravés

Quels sont les artisans de sa création ?

Gilles Filleau des Billettes enquête sur les méthodes de gravure des poinçons

Le Docteur Filleau, Félicien Rops, 1882. Crédits : Los Angeles County Museum of Arts / Google Arts et Culture


Jean Truchet examine toutes les combinaisons possibles pour les pavages colorés


Jacques Jaugeon décrit les arts du livre et écrit beaucoup sur l’imprimerie en général


Charles Louis Simonneau, graveur sur cuivre, va graver les encadrements du livre des Médailles

Portrait de Charles Simonneau, Pierre Dupin


Jean Anisson dont l’expérience d’imprimeur va aider à prendre de nombreuses décisions


Philippe Grandjean, qui va donner son nom à la typographie, est celui qui va graver la typographie définitive après de nombreux essais.

Les planches de la Romain du Roy

Lettres courantes droite
Lettres courantes penchées

La Romain du Roi dans les familles de typographie

La GrandJean est une fonte de la famille des Réales. Ce terme est issu du mot royale. C’est une famille de transition entre les garaldes et les didones. Il s’agit de s’orienter vers une écriture géométrique.

Voici ses caractéristiques visuelles comparées aux autres familles typographiques :

Empattements

ils sont minces et légèrement arrondis contre les jambages.

Axe

Tout dépendant de l’affinité de transition de la famille, l’axe des lettres rondes peut être tout à fait vertical ou légèrement incliné vers la gauche.

Pleins et déliés

le contraste est prononcé entre les pleins, gras verticaux, et les déliés, maigres horizontaux.

Terminaisons 

les parties supérieures des lettres « b, d, h, i, j, k, l, m, n, r »
bas de casse, selon l’affinité des familles, auront une légère inclinaison vers l’arrière ou seront tout à fait droits.

Traverse :

La traverse du « e » emprunte l’horizontale

Autres caractéristiques :

les « a » et « g » ont une terminaison lacrymale (en forme de goutte).

Utilisation

Alliant un dessin s’apparentant aux garaldes, plus souples, et aux didones, plus raides, ces familles imposent une allure royale. Élégants, incarnant un esprit rationnel et réaliste, ces caractères assurent une lecture précise et tranchée. Ils sont souvent utilisés dans les ouvrages encyclopédiques et les dictionnaires.

La construction de ses caractères

Les lettres sont créées sur une grille carrée 8×8 divisée en 64 petits carrés, eux-mêmes divisés en 36 autres.

Au total, il existe 64*36 = 2304 petits carrés nécessaires à la représentation de la finesse de cette fonte.

Les dates de création des différentes tailles de la Romain du Roy

Les Poinçons d’origine

Ils sont conservés à l’Imprimerie Nationale.

Quelles versions numérisées de cette typographie ?

Royal Romain by Wiescher Design

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Sang Bleu OG Serif

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Bibliographies

Bibliographie – les Académies scientifiques

Médailles sur les principaux évènements du règne de Louis le Grand, avec des explications historiques. Par l’Académie Royale des Sciences

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1041715f/f37.item.zoom

The Académie Royale (1690s)

https://www.circuitousroot.com/artifice/letters/press/typemaking/literature/general/jaugeon/index.html

350 ans – 22 décembre 1666 : et colbert fonda l’académie des sciences

https://www.science-et-vie.com/article-magazine/350-ans-22-decembre-1666-et-colbert-fonda-lacademie-des-sciences

Sur les rapports entre la Compagnie de Thévenot et l’Académie royale des Sciences

https://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1975_num_28_3_1154

Les laboratoires d’anatomie et de botanique à l’Académie des Sciences au XVIIe siècle

https://www.persee.fr/doc/rhs_0048-7996_1964_num_17_2_2321

Bibliographie Typographique

Étude de caractères : Le Romain du Roi

https://www.armarium-hautsdefrance.fr/document/26248?origin=Sujets&origin-title=Typographie#?c=0&m=0&s=0&cv=0&xywh=-283%2C-522%2C4106%2C3408

La classification Vox-Atypi 

https://pmarleau.profweb.ca/vox/reales.html

Les différentes familles typographiques

https://www.imprimerieareaction.com/blog/actualites/les-differentes-familles-typographiques

Bibliographie – La Romain du Roy

Romain du Roi. The surviving plates

http://www.riccardolocco.com/img/romain_du_R_Olocco_slide_12.2013.pdf

Le romain du roi La typographie au service de l’État, 1702-2002

https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2003-02-0118-007